Andrzej Wajda

Je suis arrivée une bonne heure en avance à l'Institut japonais manggha de Cracovie. Il neige à gros flocons, tout baigne dans une lumière gris bleuté.... Au sol, des coussins en velours cerise, turquoise et vert pomme forment une halte douillette pour le visiteur frigorifié. Sur la petite table en fer forgé, des coloriages de geishas et une boîte dodue de pastels gras. Des tasses de thé vert fument sur le comptoir. Je repère les lieux, la lumière. L'immense baie vitrée qui donne sur la Vistule et le château du Wawel ne me facilitent pas la tache.... Faire bien attention aux contre-jours, à l'aspect cru de l'éclairage. J'attends Andrzej Wajda, un des plus grands cinéastes polonais vivants. Il a reçu un oscar à Hollywood pour toute sa filmographie, un prix du Jury et une palme d'or à Cannes, un prix Louis-Delluc, deux Césars... Les récompenses pleuvent... Je m'en fais une montagne... Mon dieu, que vais-je lui dire? Comment vais-je m'y prendre? Et si je ne comprends rien à ce qu'il me raconte..... Mais non....La rencontre est toute simple et limpide... Je lui présente mon projet photographique, il m'accueille avec un large sourire, prend le temps de finir son café, passe sa main dans ses cheveux blancs et commence à me parler de la musicalité de sa langue maternelle. Pour lui, la Pologne c'est d'abord une chanson, un rythme, un tempo... Avec le vent qui chuinte dans les branches des arbres... Impossible d'échapper à sa langue natale... Son épouse Krystyna Zachwatowicz, fabuleuse actrice et scénographe approuve..... Et le temps me file entre les doigts... On se déplace, on rit. Je trouve un portrait d'eux, jeunes, sur un mur en brique... Deux chaises vides semblent les attendre..... Ils se prêtent au jeu des poses avec beaucoup de patience et de gentillesse... Mon seul regret est qu'un monstre sacré comme Wajda ne se donne pas facilement.. Je veux dire, tirer un portrait de lui avec un peu de lui dedans n'est pas si aisé... C'est la seule teinte de regret à un tableau réussi... Capter une personne, essayez vous verrez, ce n'est pas si simple...