lundi 31 janvier 2011

Lili


Quand ta maison n'est plus un berceau. Celui de tes ancêtres. Quand ton regard est un aigle blessé. Que la pendule ne réveille plus personne la nuit. Quand je ne dors plus au second, quand il n'y a plus les dortoirs de cousins. Quand il ne fait plus trop chaud avec le bruit des cigales et les discussions des adultes.Quand la ville entière ne te reconnaît plus, quand tu ne dis plus escalier hélicoïdal à noyau évidé, quand on ne cambriole plus tes bronzes en plein jour, quand tu ne ris plus comme une jeune fille, quand tu ne vas plus au feu d'artifice pieds nus. Quand on ne dévale plus trois étages. Quand il n'y a plus Marie Germaine, Capucine, Eglantine, Lou, Anaïs, Olivier, à côté.. Quand plus personne ne glisse sur la rampe jusqu'en bas. Quand tu ne regardes plus le 20 heures avec ton casque. Quand tu ne cours plus des tréfonds du jardin pour aller ouvrir, quand tu ne cries plus gaiement "on vient on vient!"Quand tu ne râles plus parce qu'on laisse la porte ouverte sur la fournaise du midi, quand tu ne ranges plus les assiettes bleues en faïence dans le buffet de la salle à manger, quand le verre des fenêtres n'est plus troublé, quand on ne dresse plus un festin sur des tréteaux entre les ifs avec les pizzas du petit gars de la place, quand on ne me fait plus croire que tu es un meuble ou une relique dans ta demeure musée, quand je comprends que tu es une femme, quand j'aime ton odeur et ton allure divine d'aristocrate fauchée, quand on ne cherche plus les têtards dans l'eau terreuse du bassin, quand on ne croit plus que les montgolfières vont venir, quand tu ne me dis plus ma chérie, quand le loup du Laoul ne tire plus sa longue langue rouge et pendante, quand tu ne fais plus ton confit d'aubergines, quand tu ne claudiques plus dans les allées petite silhouette penchée, quand on ne boit plus le côteau du Vivarais un peu âpre avec les haricots et la tétragone, quand tes lunettes ne sont plus rayées et démodées, quand ta bague d'améthyste n'est plus couverte de terre, quand tu ne parles plus à tes hibiscus assoiffés, quand tu ne tâtonnes plus dans le noir parce que tu es presque aveugle, quand tu ne sers plus ta tisane de thym frais, quand tu ne joues plus au Scrabble sans tricher, quand tu ne mets plus de spirales anti moustique au géranium le soir au jardin, quand on ne va plus avec toi à la bibliothèque, quand on ne longe plus le Rhône si vert ce matin, quand tu ne tires plus ta poussette au marché, quand tu ne parles plus de grand maman morte en sauvant tes soeurs, quand tu ne pestes plus contre le machisme, quand tu ne racontes plus les visites de grand-père chez Gustave Thibon, quand tu n'as plus 87 ans au volant de ta Diane, quand tu ne cornes plus dans les épingles à cheveux de la route des gorges, quand il n'y a plus de chasse à l'ours à minuit, quand Gérard ne fait plus peur aux petits, quand ça ne sent plus le buis le long de la serre, quand tu n'es plus un puits de science,  quand la tête de sanglier ne me fait plus peur dans le hall, quand tu ne regrettes plus de n'avoir jamais été mariée, quand tes confitures d'abricots aux fourmis sont finies pour toujours, quand il n'y a plus de bouquets de dahlias sur les consoles, quand tu ne frappes plus au heurtoir avec tes poires de la saint jean, quand tu ne grimaces plus parce que tu as mal, quand tu ne t'endors plus sur ton livre à la sieste, quand les figues n'explosent plus de jus aux palais voraces, quand on ne se cache plus dans la maison des outils, quand on ne fait plus grincer la balançoire de la grange, quand la poussière ne sent plus l'Ardèche, quand les poules ne sont plus égorgées dans le poulailler, quand la 2CV grise n'est plus au garage avec les kayaks, quand tu n'es plus une maison qui m'habite, quand l'harmonie que tu crées n'existe plus...


Quand tu ne fais plus sonner ton bip parce que tu es entrain de mourir, et que personne ne l'entend. Quand tu n'es plus seule et courageuse.
Quand tu n'es plus là....

Tu es partout.

Je t'aime tante Lili.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai relu ce texte. Touché par les mots et l'émotion qui affleure. On voudrait tous avoir une tante Lili.

blablatok a dit…

oh! Merci! ;-)