samedi 9 janvier 2010

Manipuler avec précaution


Cela va peut-être paraître austère à certains d'entre vous... mais, une fois n'est pas coutume, je vous fais un copié collé d'une tribune de Jean-Philippe Legros, psychologue et psychanalyste rattaché au CPDPN (centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal) depuis 1989. Je trouve son regard juste et profondément humain. Inutile de dire qu'il me touche... Il mérite que l'on s'y attarde.

Le récent avis n°107 du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) relatif au diagnostic anténatal participe d'un courant de pensée majoritaire qu'il convient aujourd'hui d'interroger. En proposant de pouvoir profiter du DPI pour rechercher une trisomie 21, le CCNE vient de franchir un pas significatif... Faisant sortir le diagnostic préimplantatoire de son cadre spécifique, il présuppose que la décision ultérieure prise par les parents ne peut-être que l'interruption médicale de grossesse (IMG).

Il s'agit d'un dévoiement de la fonction initiale du DPI. cette dérive est importante, car la recommandation émane du CCNE, qui occupe une place majeure dans la réflexion éthique. Fort de son autorité, il participe ainsi de l'influence sociale qui diffuse petit à petit dans les esprits l'évidence de l'éradication de la trisomie 21... Nous serions tentés de lâcher le mot-épouvantail d'eugénisme. On peut dire que le Dpi, comme le diagnostic anténatal n'ont pas à proprement parler, d'intentionnalités eugéniques, mais force est de constater que leurs conséquences le deviennent. Il ne s'agit pas, bien entendu d'un eugénisme étatique, coercitif, alimenté par des directives assassines. Rien n'est bien sûr imposé aux couples. Mais comment imagine-t-on qu'un individu, une femme ou un couple puissent résister seuls face à une pression sociale de cette force? Au moment de prendre une décision comment des parents pourraient-ils échapper à ce "prêt-à-penser sociétal"? (...)

L'autre dérive de cet avis n°107 est de faire écho à la représentation négative de la trisomie 21 dans notre société. Partant du présupposé que ce handicap est intolérable, on en vient à être intolérant à son égard. De colloque en colloque, la communauté médicale focalise ses efforts sur la détection toujours plus précoce de la trisomie 21, sans jamais poser la question de "qui" est éliminé dans ces grossesses "naturellement" interrompues. Peu à peu s'est ainsi imposée une représentation unique de la trisomie 21. Comme si ce chromosome sur-numéraire faisait de l'être qui en est porteur non pas un individu doté d'une personnalité propre, mais le représentant indifférencié d'une race aux caractéristiques intangibles (ne disait-on pas auparavant mongolien?...)

La trisomie 21 condense les peurs les plus archaïques rattachées à toute grossesse, et l'IMG dans ce contexte constitue alors cet "idéal" d'interruption de l'angoisse.* (sans parler des conséquences dramatiques qui pèsent parfois sur l'inconscient des femmes fragilisées au moment de cette décision peu commune tout de même de mettre fin à une vie humaine...)

Souffrir d'un trouble de l'intelligence ne signifie pas être dénué de toute intelligence. Comment peut-on naître dans un contexte qui vous condamne à ce point? Avec quelles conséquences délétères? Les enfants porteurs de trisomie 21 ayant échappé au DPI et au diagnostic prénatal voient très probablement leurs capacités cognitives doublement entravées par ce rejet radical. La trisomie 21 pâtit lourdement de la connaissance que chacun croit en avoir...

Puissions-nous posséder une curiosité, une envie de découverte face à ceux qui incarnent l'étranger *(ou l'étrange)...

Le paradoxe de ce texte du CCNE est de rappeler au respect du "devoir de solidarité nationale" envers les personnes handicapées tout en accepetant comme une évidence son éradication, autorisant alors, le plus pernicieux des eugénismes...

* ce qui est en italique est ajouté par moi.

Je voulais juste dire que la médecine va tellement vite qu'elle arrivera bien à déceler des gênes pour des tas d'autres "déviances"... et qu'on proposera alors aux parents le kit idéal pour pondre des enfants parfaits... ça me file des frissons dans le dos et ça me rappelle vaguement quelque chose....

Je vous indique aussi ce livre fabuleux qui m'a émue aux larmes de Catherine Chaine, la femme du photographe Marc Riboud: J'aime avoir peur avec toi (Seuil)

La sculpture du bébé (en bronze) a été réalisée par mon immense amie Maya Zagajeswka.

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